Résumé:
Introduction : La mort est universelle mais elle fait peur. Elle reste un tabou dont on n’ose
parler et que l’on ose à peine évoquer même à l’hôpital. Nos contemporains refoulent la mort
mais confient aux équipes SMUR leurs derniers instants … la mort c’est « urgentisée ». Les
réflexions éthiques que les professionnels consacrent à leur mission témoignent d’une
approche nouvelle de la place des activités mortuaires et notamment des rites post-mortem qui
s’y rattachent. La mort est singulière aussi dans sa pluralité. Elle possède deux aspects si
mourir est éminemment individuel, l’« après mourir immédiat » appartient à la communauté
de ceux qui restent (familles, proches). Notre travail s’inscrit dans une évaluation des
pratiques professionnelles. Comment les soignants peuvent-ils partager ces moments
d’intimité dans cet espace privé tout en respectant le cadre législatif qui encadre la mort et le
« post mourir ». Il s’agit d’une nouvelle approche, une nouvelle façon de poser le problème
du rapport des équipes de réanimation pré hospitalière à la mort à domicile
Notre question de recherche est Quelle place et quels enjeux éthiques peuvent soulever les
rituels post –mortem ?
L’objectif principal de l’étude est de décrire les pratiques
d’accompagnement des familles de patient en arrêt cardiaque au domicile après « échec de
réanimation pré hospitalière»; en particulier les rites symboliques qui enserrent la mort.
Objectifs II aires : Réfléchir sur de nouvelles modalités de soins pour préserver les principes
d’humanité et de dignité au patient décédé (rites), et dispenser des soins d’accompagnement
post-mortem respectant les choix (les convictions) des proches dans la transparence et la
neutralité de l’espace laïc hospitalier. Ouvrir des pistes d’amélioration des pratiques
soignantes intégrant les besoins spirituels (religieux ou non) en cette phase critique dans le
respect de la loi
Matériel et Méthode : il s’agit d’une enquête de pratiques professionnelles prospective
descriptive et observationnelle menée du 5 novembre 2015 au 5 janvier 2016 sur trois sites
hospitaliers (CHU, CHG et IGR) du Nord de la France, auprès de professionnels de santé
stagiaires (n= 27) et titulaires (n= 67) composant les équipes SMUR (ambulanciers, infirmiers,
médecins, et stagiaires médicaux et paramédicaux).
Cette enquête propose de deux versants1) le premier est une enquête par questionnaires
(questions ouvertes et fermées, de 51 items) sur les pratiques en post mortem immédiat. Les
résultats ont été analysés en terme de pourcentage, moyenne (écart-type) et de fréquence Nous
avons chaque fois que possible comparé les résultats entre titulaires et stagiaires (Chi 2 ou
Fischer Exact avec p < 0,05). Ainsi 84 questionnaires remplis ont été analysés sur les140
distribués (soit un taux de réponses de 60%). 2) le second est une réflexion, un
questionnement, des échanges de pratiques, une analyse personnelle des réponses apportées
aux questionnaires réalisés pour cette enquête lors d’un entretien collectif (focus group)
auprès de 8 interviewés (soignants du pré hospitalier, juristes et représentants du culte)
Les conditions du mourir (pourquoi, comment) interrogent les acteurs de l’urgence.
Trois questions majeures ont été abordées :1) le respect des convictions, des croyances du
patient mourant et des proches-2) la ritualisation des pratiques lors de la prise en charge d’un
AC au domicile - 3) la gestion de l’intime face au principe de neutralité et la mission des
SMUR à l’hôpital public
Le recueil des données et les analyses statistiques descriptives ainsi que l’analyse des
entretiens semi-dirigés (verbatim, analyse textuelle) ont été réalisée avec le logiciel SPHINX
LEXICA ®version 2000
Résultats : Confrontées en moyenne à 5 à 10 décès mensuel, la mort est banalisée (n= 59) par
les équipes SMUR .Ces professionnels du service public estiment que c’est « l’hôpital qui sort
de ces murs » (n= 54) pour réaliser la réanimation au domicile.
Interrogés (72/84) sur les concepts de convictions spirituelles, croyances et religions ceux-ci
sont peu ou mal définis par les professionnels Les soignants se sentent « plutôt concernés »
(n= 24) et une large proportion éprouvent de l’intérêt (55% d’opinion favorable) pour les
convictions religieuses ou spirituelles des patients et leurs familles (n= 64), dont le respect est
un besoin fondamental (n= 61). Source d’ « apaisement » (68 citations) et de « soulagement »
(40 citations) il évite les tensions « occasionnelles » (n= 29) et faciliter le travail de deuil (n=
82 ; 97%). Cependant ils avouent (n= 45) ne pas être sensibles, aux signes religieux
ostentatoires, ni même questionner les proches au sujet de leurs croyances (n= 58). Mais ils
seraient favorables au fait de mentionner l’appartenance religieuse lors des directives
anticipées (n= 55) afin de faciliter les prises de décisions en fin de vie
Le respect des convictions est apprécié différemment : un tiers se déclare favorable, un tiers
(n= 30) s’adapte en fonction du contexte (« circonstances de la mort, âge du décédé, brutalité
du décès »), les autres soignants (n=31) déclarent ne modifier en rien leur pratique. Le respect
du corps « de celui qui vient de décédé » est indissociable des rites et croyances (n= 60).
L’annonce du décès est un moment difficile de la prise en charge médicale et « certaines
morts sont plus difficiles que d’autres », chargée de symboles et socialement protocolée :
« c’est le médecin qui annonce la mort », la préparation du corps « pour le rendre
présentable » incombe aux infirmiers. Mais l’écoute et la disponibilité prime (n= 59 citations)
Les croyances et religions ont peu d’impact sur les décisions médicales (DDAC) et les
différences cultuelles sont rarement à l’origine d’opposition ou de refus de soins de la part des
familles (actes médicaux courants, prélèvements, transfusions) (n= 65)
La demande de rituels d’accompagnement des familles prières, posture du corps ou des mains
auprès du mourant reste exceptionnelle (n= 69) et sont relativement tolérés et autorisés (28
avis favorables) par les soignants : « toucher, embrasser le corps, manifester son chagrin »
Mais la « présence de la famille en cours de réanimation » reste difficile. Certains soignants
réalisent spontanément plus par « habitude » que par convictions certains « rituels » (n= 66) :
« fermer les yeux, la bouche » « allonger, couvrir le corps, le visage», sans toutefois en
connaître la valeur symbolique Les soignants reçoivent peu d’informations et sont
insuffisamment formés (n= 66) pour appréhender les rites post –mortem. Il existe une attente
de formation sur le sujet, jugé utile mais dont la mise en oeuvre n’est pas facile en urgence (n=
30)
Discussion : La prise en compte du patient dans sa globalité (son corps et sa spiritualité)
impose une nouvelle forme de proximité, et d’intimité entre les réanimateurs, le « presque
mort » et ses proches. Notre étude propose des pistes de réflexion aux soignants pour
appréhender la mort au domicile dans la force de sa dimension humaine et existentielle lors de
cette ultime rencontre .pour penser cet « événement si singulier » dans l’ « abîme de
l’altérité »
Conclusion : Une telle approche s’avère indispensable dans une société française plus
qu’attentive à des enjeux éthiques dans une dimension humaniste et politique. Elle soulève
non seulement des questions éthiques mais aussi des enjeux métaphysiques.